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  • julienphilippe4

Car nous dormons sur des bolges


« …car nous dormons sur des bolges, des champs de batailles infinies où des créatures de cauchemars s’entredévorent dans le grouillement indescriptible de leurs corps enchevêtrés. Notre chair repose sur un tapis invisible de charognes et d’excréments où les Cheyletus décapitent leurs proies de leurs mandibules, où nos peaux mortes sont le festin infâme d’une armée nécrophage à faire pâlir H.P. Lovecraft et Bosch. Et ces infra-mondes en ébullition nous sont aussi étrangers que la titanesque Bételgeuse. Un simple changement d’échelle ouvre un précipice sous nos pieds car peu peuvent contempler l’abîme sans y tomber. Alors mes chers cortex, que sont ces misérables dérèglements du réel au regard des abysses qui nous entourent ? Vous le savez intimement lorsque cette petite fenêtre au fond de votre cerveau s’ouvre de temps à autre sur l’abîme où vous risquez un œil à contrecœur et que vous pressentez confusément que le surnaturel est une broutille au regard du très simple et très exact mystère de l’existence d’Alpha du Centaure, du demodex, du dahlia ou de la mante idolomantis diabolica.

Nous ne sommes que des sacs de chair affligés de sensations et nous bâtissons autour de nous les fictions qui habillent de sens l’absurdité du monde observable. Chacun évolue dans un palais des glaces, un écheveau de simulacres qui constitue une réalité à sa convenance, un enfer à sa mesure. Et chacun de chercher à remplir l’horreur du réel par l’alcool, la littérature, la prière, tous ces frères en irréalité, petits pourvoyeurs d’échappées, petites échelles de Jacob menant aux cieux. L’homme chérit son addiction aux mensonges. Seul et nu, immergé dans le fleuve sans fin des sensations, jeté dans une atroce déréliction entre les quarks et les trous noirs supermassifs, il ne tiendrait pas longtemps sans quelques artifices, fussent-ils frustes et bancals. L’artifice le plus puissant est l’habitude, dont la grâce nous masque l’incongruité du nerf optique, de la digestion et de la reproduction. Ô le troupeau pitoyable de moutons drapés dans la philosophie, l’art et la science, en marche vers l’abattoir, la marée infinie de créatures spongieuses en rang serré vers la mort, adorateurs de chimères, à genoux devant les totems censés éclairer leur nuit. De simples enfants sauvages effrayés et morveux, hurlant dans la forêt, seuls et ignares, à jamais.

Dans le secret de nos intestins pullulent des hordes invisibles comme dans notre esprit se terrent les pensées interdites  : sous le fard beugle la masse monstrueuse dont le long cri de vie et de mort hante les cerveaux du vivant pour l’éternité.

J’écoute vos cris et j’apaise votre enfance éternelle. Je suis celle qui va vous chercher dans la forêt. Celle qui vous prend par la main, essuie vos larmes et mouche votre nez crotté. Celle qui sait. »


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